
En 2022, 9 % des salariés percevaient moins de 1 300 euros nets par mois, pendant que 10 % dépassaient les 3 700 euros. Un autre chiffre s’est glissé dans les statistiques officielles : l’écart salarial médian entre femmes et hommes, hors temps partiel, ne bouge pas d’un millimètre, figé à 14 %.
Derrière ces pourcentages, une mécanique de chiffres et de classements. Le coefficient de Gini s’allonge, le rapport interquartile tranche, la courbe de Lorenz se cambre. La réalité sociale s’invite entre les lignes froides des équations : chaque mesure dévoile une facette, mais aucune ne capture l’ensemble du paysage.
Plan de l'article
Quatre outils pour mesurer l’inégalité : comprendre les indicateurs clés
Pour saisir les inégalités, il faut des instruments précis. Statisticiens, économistes, démographes se succèdent pour décortiquer la distribution des revenus et observer les écarts selon les groupes, les territoires ou les périodes. En France, l’INSEE met en avant quatre mesures phares : coefficient de Gini, indice de Theil, ratio inter-décile et courbe de Lorenz.
Voici comment chacun de ces outils éclaire une dimension particulière de l’inégalité :
- Le coefficient de Gini cristallise l’inégalité en un seul chiffre. Zéro équivaut à une égalité parfaite, un à une mainmise totale d’un seul groupe. La France affiche un Gini de 0,29, un score dans la moyenne des pays de l’OCDE. Pourtant, ce chiffre masque une réalité persistante : 10 % des ménages captent 24 % des revenus, tandis que les 10 % les moins aisés se partagent seulement 3 %.
- L’indice de Theil affine encore la lecture. Il permet de distinguer les écarts à l’intérieur d’un même groupe et ceux entre différents groupes sociaux. En 2022, la France atteint 0,186, dont la majeure partie (0,142) est due à des inégalités internes aux groupes.
- Le ratio inter-décile met en lumière les extrêmes : il compare le niveau de vie des 10 % les plus riches à celui des 10 % les plus pauvres. Ce ratio grimpe à 7,1 dans notre pays, preuve du gouffre qui sépare les deux bouts de l’échelle sociale.
- La courbe de Lorenz trace graphiquement la part cumulée des revenus pour chaque fraction de la population. Plus elle s’éloigne de la diagonale d’égalité, plus l’écart se creuse. Ce graphique, devenu un classique des manuels, donne un visage concret à ce qui reste souvent abstrait.
Grâce à ces mesures, on obtient une vision détaillée des inégalités de revenu. Comparaisons avec l’étranger, analyses par catégories, évolutions d’une année sur l’autre : chaque indicateur apporte une clé de lecture, et leur combinaison dessine le tableau mouvant des écarts en France.
Pourquoi l’écart salarial entre hommes et femmes persiste-t-il ? Décryptage des causes et mécanismes
Le salaire moyen des femmes reste inférieur de 22,2 % à celui des hommes, selon l’Observatoire des inégalités. Cette différence s’explique par un enchaînement de facteurs structurels. Les femmes sont surreprésentées dans les emplois précaires, occupent plus souvent des postes à temps partiel, en particulier dans les métiers du soin, où elles constituent la majorité. Cette concentration dans des secteurs faiblement rémunérés creuse l’écart, dès l’entrée sur le marché du travail.
Un plafond invisible contrarie la progression vers les postes à haute responsabilité. Si 42 % des cadres sont des femmes, elles ne sont que 29 % à accéder à des fonctions de direction générale. Par ailleurs, le travail domestique non rémunéré, assuré à plus de 75 % par les femmes, grève leur disponibilité professionnelle. Ce travail, estimé à 14,8 % du PIB français, reste pourtant absent des fiches de paie et des droits à la retraite.
À cela s’ajoute la discrimination, parfois sourde, qui s’infiltre dans les processus de recrutement, la négociation des salaires ou les perspectives de carrière. 59 % des entreprises de plus de 50 salariés n’appliquent toujours pas la loi sur l’égalité professionnelle. Et l’écart se poursuit après la vie active : la pension de retraite des femmes demeure inférieure de 39 % à celle des hommes. La récente réforme des retraites a renforcé ce déséquilibre, frappant particulièrement les carrières discontinues et les familles monoparentales, très majoritairement portées par des femmes.
Ce fossé salarial ne s’explique pas par de simples trajectoires individuelles : il s’enracine dans une organisation du marché du travail qui perpétue et légitime les inégalités de genre.
Les inégalités économiques et sociales traversent toutes les couches de la société, influant sur l’école, l’emploi, la santé ou le logement. Le revenu disponible d’un foyer conditionne l’accès aux soins, à l’éducation, à la culture. Un enfant d’ouvrier ne joue pas la même partie qu’une fille ou un fils de cadre. L’ascenseur social, célèbre pour ses promesses, fait souvent du surplace.
La protection sociale tente de compenser ces écarts. À travers le RSA, la CMU ou les allocations familiales, l’État providence soutient ceux que la précarité menace. Les prestations sociales et les services collectifs, santé, école, transports, amortissent les chocs, mais ne suffisent pas à effacer la fracture. La fiscalité progressive redistribue une part des richesses, tandis que certaines poches de pauvreté résistent.
Dans ce contexte, la question de la justice sociale ne cesse de revenir. Faut-il défendre l’égalité des chances ou viser l’égalité réelle des situations ? Les visions s’affrontent : l’utilitarisme cherche le bien-être collectif, le libertarisme valorise la liberté individuelle et la propriété, l’égalitarisme libéral propose de corriger les désavantages initiaux, alors que l’égalitarisme strict prône une redistribution beaucoup plus large.
Le cumul des inégalités sociales entrave la mobilité, nourrit l’exclusion et fragilise le pacte républicain. Entre limites budgétaires et exigences de justice, les gouvernants oscillent entre mesures d’ajustement et réformes plus radicales. Reste une question brûlante : comment inventer une société où la naissance ne détermine pas la destinée ?



























































